17 Dec. 2022
Quelle place ont les archives dans la culture d'aujourd'hui ?
La transmission d'une archive, d'une histoire et d'un passé tout entier existe depuis des milliers d'années. Alors même que le digital prend une place de plus en plus importante dans nos vies, notamment avec l'entrée dans le Web 3, capturer des images au Kodak ou à l'argentique n'a jamais été aussi tendance que ses dernières années. Entre trouver la meilleure manière de fédérer ou bien éveiller les consciences sur des sujets qui nous concernent tous, la question de laisser une empreinte est paradoxalement problématique tant le numérique pollue. Quelle place ont les archives dans nos vies ? Qu'ils soient fondateurs de marque vintage ou bien curateur sur les réseaux sociaux, Maxence Gobert directeur artistique chez Wethenew et membre de , Hayley Edwards-Dujardin, historienne de l'art et de la mode et Thomas Neuviale, fondateur du compte Instagram . partagent leurs visions tant sur le fond que sur la forme des recueils de notre époque.
Les archives : un pouvoir culturel et économique
"Libre à chacun de définir son archive" commente Maxence, membre de la friperie L'épicerie. Décrites souvent comme la réunion ou collection de documents anciens, classées à des fins historiques, aujourd'hui, les archives représentent un pouvoir culturel qui peut même conduire à innover : "Pour moi, il s'agit d'un témoignage. La trace d'un moment, d'une personne, d'un contexte qui peut nous éclairer, nous intriguer, nous décontenancer, mais qui en général nous pousse à l'investigation. L'archive, c'est à la fois un point de départ qu'un but." confie Hayley Edwards-Dujardin.
"Pour moi, une archive, c'est quelque chose de vintage, d'époque qui te touche et dont on peut s'inspirer." Maxence Gobert, directeur artistique chez Wethenew et membre de L'épicerie.
Dans la culture mode et sneakers, les archives ont toujours inspiré et sont sans cesse modernisées tout en s'adaptant au Zeitgeist aka l'air du temps. En effet, les maisons de luxe cèdent depuis des années leur direction artistique à des créatifs parfois totalement extérieurs à l'univers de la marque dans un seul et unique but : réinterpréter et moderniser ses codes. Excellence, rareté, émotion, rêve, histoire de marque et expérience client… La fascination autour des nominations des designers en témoigne. De Virgil Abloh chez à chez Homme, en passant par Alessandro Michele anciennement chez , tous ont su dépoussiérer des marques aux riches savoir-faire, conduisant même ces dernières à collaborer avec d'autres secteurs comme le streetwear ou le techwear.
"Les grandes marques de luxe et les maisons de couture ont compris assez vite le pouvoir culturel et économique de leurs archives." Hayley Edwards-Dujardin, historienne de l'art et de la mode
a son tweed, sa fleur de camélia, la petite robe noire ou même son parfum Chanel N°5, star de l'exposition qui se tient en ce moment même au Grand Palais Éphémère jusqu'au 9 janvier prochain à Paris. Mais, si le luxe s'est construit une identité reconnaissable parmi tant d'autres, leurs codes sont eux-mêmes tirés d'archives : "En s'intéressant aux marques, on s'intéresse forcément aux pièces d'archives qui sont à l'origine de beaucoup de produits que l'on retrouve aujourd'hui" ajoute Thomas. On se demandait d'ailleurs quelques mois plus tôt comment les German Army Trainers ont-elles inspirées des icônes de la culture ? Maxence les définissait si bien : "Une archive n'est pas forcément quelque chose de brandé, comme les German Army Trainers par exemple. C'est une archive, pas une marque."
Un vecteur de créativité légitime
Comme pour les marques de luxe, les archives peuvent être comparées à des bases de données riches, un langage et représentent même un héritage. Cela implique la fierté de la posséder ou même de la découvrir avant tout le monde, comme en témoigne Thomas : "La curation de pièces d'archive est également un plaisir pour nous, surtout sur des pièces très anciennes et que personne ne connait." Du vintage aux pièces rares, elles sont chargées d'histoires toutes plus importantes les unes que les autres à transmettre. Se baser sur ces dernières légitimisent le discours, notamment dans des secteurs artistiques parfois considérés comme superficiels.
Du langage construit se transmet ensuite des images associées dont le but est inévitablement de vendre, société de consommation oblige : "L'image, l'image, l'image. On est obsédés par ça. Ça nous donne le sens du beau et du goût." explique Hayley. Des premiers modèles Prada Sports à , , , , ou encore les 1001 gammes qui inspireront particulièrement , Maxence et toute sa team de chineurs formant L'épicerie ont compris l'importance des pièces possédant un passé riche, une histoire lui conférant une image très forte. De là, est né il y a près de 6 ans un business basé avant tout sur la communication naturelle que ces pièces vont créer : "Le truc qui est intéressant également dans les archives, c'est que ce sont des pièces images dans le sens où on peut les mettre en avant sur les réseaux. C'est ça qui va pop. C'est un bon levier pour l'image et la visibilité." ajoute Maxence.
"En s'intéressant aux marques, on s'intéresse forcément aux pièces d'archives qui sont à l'origine de beaucoup de produits que l'on retrouve aujourd'hui." témoigne quant à lui Thomas, fondateur du compte de curation @fasun.aa. Avec une envie de rassembler ses inspirations sous forme de moodboard sur Instagram au début de la crise sanitaire en février 2020, il a réussi petit à petit à partager des nouveautés et des archives avant tout axées sur l'univers du techwear. Réunissant aujourd'hui plus de 40 000 personnes, Fasunaa est devenue une marque à part entière, collaborant même avec d'autres acteurs du secteur.
Comme l'explique assez promptement Hayley, par la force des archives, tous les deux ont réussi à créer un pont bénéfique entre passé, présent et futur : "C'est extraordinaire de balayer des témoignages du passé et d'en nourrir son travail présent. Cela crée des ponts, et un dialogue entre passé et présent qui nourrit l'inspiration, mais aussi une forme de pédagogie avec l'observateur qui se plie au jeu de "tiens, est-ce que je reconnais ce que je vois"."
Laisser une empreinte
Tous seront du même avis, tous les moyens sont bons pour dénicher des archives, mais également pour les raconter : "Je crois que tous les moyens sont bons : l'écrit, l'image, l'objet. Et n'oublions pas la transmission orale. Elle était essentielle chez nos ancêtres. On l'a un peu délaissée. Racontons. C'est beau de dire et d'écouter." ajoute Hayley. Pour Fonky Flav' et Nekfeu du groupe 1995, ils scandaient dans Laisser une empreinte que : "C'est le seul moyen d'exister". Sauveteurs d'une époque, Maxence et Thomas transmettent des choses méconnues, ils sont les curateurs d'un temps révolu, mais aussi les premiers à lancer des tendances qu'ils dénichent dans les livres pour l'un et sur Instagram, Pinterest ou bien des magazines pour l'autre.
Ce dernier point nous montre l'importance de la place du numérique dans nos vies avec l'entrée récente dans le Web 3 qui l'accompagne. Mais voilà, ce n'est plus un secret pour personne : le numérique pollue et ancre de manière temporaire les informations. Le défi est donc de trouver la meilleure manière de laisser une empreinte et de fédérer tout en aidant à éveiller les consciences sur le respect de l'environnement. D'où l'intérêt de se tourner vers des marques plus éthiques, plus responsables ou qui placent la seconde main au centre de leur business comme le fait L'épicerie ou même Fasunaa à travers l'outdoor. Organisant des pop-up, Maxence se questionne sur l'empreinte que son business peut engendrer : "Les pop-up, c'est assez éphémère, le digital, c'est assez éphémère aussi, donc est-ce qu'on marque vraiment l'histoire ?".
"Notre but n'est pas forcément de laisser une empreinte, au contraire. L'écologie fait partie de nos valeurs. On souhaite aborder ce sujet important pour justement éviter de trop laisser une empreinte." Thomas Neuviale, fondateur de @fasun.aa.
Les comptes de curation : allégorie de notre temps
Une nouvelle manière de transmettre fait rage depuis quelques mois sur les réseaux sociaux. Curateurs de notre temps, en est l'exemple parfait. Nommé par dans le top 10 des personnes les plus influentes de l'industrie et de leur impact sur la culture en 2022, le compte Instagram avoisinant les 1 million d'abonnés est bien plus que ça. Au fil des années, la référence en matière de streetwear à su créer les siennes, venant ainsi à collaborer avec les plus grands. En effet, l'engouement autour du feed alliant "Past, Present & Future" était tel que devenir une marque ne pouvait être que profitable. Aujourd'hui basée à New York, seuls les abonnés à ont la garantie de se procurer en avant-première les sorties les plus chaudes : à , Salomon, et même .
La recherche du beau à travers les feed des réseaux sociaux se transforment en réel outil marketing, à l'image des comptes de curations devenus marques à part entière comme le label canadien JJJJound, Hidden ou encore fasun.aa. Comme le luxe et ils tirent eux-mêmes leurs inspirations de marques et comptes existants, comme en témoigne Thomas : "Ma première inspiration a été le compte Instagram @organiclab.zip. Je pouvais passer des heures à regarder son compte et ses stories. Concernant les marques, j'adore les archives de Prada, Nike Gyakusou ou encore Stone Island".
"On vit dans une société visuelle où l'archive finalement est omniprésente. Suffit de scroller deux minutes sur Instagram pour visualiser des souvenirs de mode très inspirants." Hayley Edwards-Dujardin, historienne de l'art et de la mode.
Expliqué par la multiplication de micro blogs ultra-spécialisés, Maxence explique ce phénomène de cette manière : "Je pense que beaucoup de gens se retrouvaient plus dans l'actualité culture et mode actuelle. Ça devenait hyper formaté, même si on rentre dans un nouveau format. C'est peut-être un format qui intéresse plus de gens actuellement, qui fédère plus." Comme ou encore , il ajoute "Il y a ce truc d'histoire, ce truc d'échange et de partage. Vu que la mode a toujours puisé ses inspirations dans les archives, on a l'impression d'être de l'autre côté, de faire le même travail que les designers."
Dans un monde toujours en quête d'identité, les nouveaux consommateurs, à savoir la Gen Z, sont à la recherche de singularité : "Les gens cherchent à se démarquer, à obtenir le produit que personne n'a avec une histoire." Répond Thomas. Évidemment, la question de la pérennité de cette vague de comptes spécialisés se pose. Maxence et Thomas sont d'avis de dire que les archives partagées seront toujours dictées par de nouvelles tendances tandis qu'Hayley pointe les bénéfices du numérique là où la conservation physique est coûteuse : "Il y a une facilité d'archivage sur internet et les réseaux qui est très bénéfique aussi. Pas de locaux débordant de boîtes, pas d'usure du temps, pas de loyer à payer, pas de conservation complexe à mettre en place. C'est tout bénéf'."
Le luxe est l'exemple parfait de la sauvegarde d'une époque, et ses codes sont sans cesse repensés par le travail du designer. Tirant ainsi leurs inspirations eux-mêmes d'archives existantes, l'omniprésence du numérique dans nos vies a fait naître une nouvelle manière de dépeindre notre temps. Qu'ils soient encore et toujours dictés par les tendances, les marques vintages et les comptes de curations permettent de diffuser des messages forts tout en continuant à générer du profit. Véritable archive d'adidas, découvrez l'histoire des Samba, juste ici.
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