La mode et l'inclusivité : un enjeu de taille(s)
25 Jan. 2024
La mode et l'inclusivité : un enjeu de taille(s)
L'inclusivité dans la mode est un sujet de taille(s), au sens propre comme au figuré, mais pas que. Depuis quelques années, ce terme figure partout dans les médias, sur les podiums et chez les créateurs. Une avancée certes, mais un peu trop longue pour une industrie aussi active que la mode. Remontons un peu le temps jusqu'à la saison mode automne-hiver 2023. Selon Vogue, parmi les plus de 9 000 tenues dévoilées lors des 219 défilés, toutes capitales mode confondues, seulement 0,6 % étaient destinées aux plus size, tandis que celles pour les tailles moyennes représentaient 3,8 %. En d'autres termes, plus de 95 % des looks révélés étaient conçus pour des tailles 32-36.
Des différences qui font la différence
Quand on parle d’inclusivité, on pense tout de suite à la différence de morphologie, mais ce n’est pas seulement ça. Il y a aussi la question de l’ethnie, du genre et des particularités. Aujourd’hui, une mannequin atteinte de vitiligo est considérée comme un idéal de beauté, quand elle était critiquée il y a quelques années. Les femmes avec un handicap ont arpenté fièrement les podiums des défilés du globe, quand elles étaient par le passé pointées du doigt. Un homme peut aujourd’hui apparaître dans une collection femme et inversement.
Lors des derniers Fashion Awards, la mannequin plus size Paloma Elsesser a été nommée mannequin de l’année. Cependant, il n’a fallu que quelques heures à la toile pour critiquer ce prix, qui témoigne de la grossophobie encore ancrée dans notre société. D’ailleurs, parlons en de notre société, où les diktats de la mode sont encore trop présents. Défilés, campagnes de pub, collections en magasin et publications sur les réseaux sociaux, tout cela est un exemple concret que la mode se défile face à la question d’inclusivité. 2024 ne serait-elle pas finalement l’année du changement ?
On ne peut pas non plus fermer les yeux sur les progrès de l’industrie. Entre fin 2018 et début 2022, le recours à des mannequins grande taille pour les défilés a enregistré une considérable augmentation de +374 %, d'après les informations collectées par Tagwalk. Selon une autre entreprise spécialisée en études de marché (Future Market Insights) : "le marché des vêtements grande taille est évalué à 288 milliards de dollars en 2023, et devrait atteindre 501 milliards de dollars d'ici 2033".
Cependant, quand certains créateurs dévoilent des collections entièrement inclusives et pensées pour tous, d’autres grands acteurs de la mode font 10 pas en arrière. Anna Wintour a beau être la papesse de la mode, elle ne déroge pas à la règle des travers. Connaissiez-vous le terme heroin chic ? Cette tendance hasardeuse, née dans les années 90 est caractérisée par une peau pâle, des cernes sous les yeux et une maigreur apparente. Si le terme est de nouveau utilisé de nos jours, c’est parce que ça revient “à la mode”. Affolant nous direz-vous, et pourtant… Durant la dernière fashion week femme automne-hiver 2024, Nicolas Di Felice a livré un défilé à la hauteur des attentes, à un détail près : les mannequins émaciées. Les joues creuses, les jambes tels des bâtons et le teint blafard, voilà l’image de la nouvelle femme Courrèges. Mais comment peut on se projeter avec une image pareille ? Selon un récent sondage, en France, seulement 31% des personnes se reconnaissent dans la communication et les défilés des marques de mode.
Une hypocrisie cachée ?
Si la mode se veut immuable à ses prémisses, elle évolue doucement, mais sûrement à partir de la fin des années 60. En 1965, Donyale Luna, mannequin américaine, est la première personne noire à faire la couverture de Harper’s Bazaar. Un an après, celle de Vogue UK. Quelques années plus tard, le petit prince de la haute couture, Yves Saint Laurent, fait défiler la mannequin Mounia, devenant la première égérie noire de la Maison, et l’une des pionnières des mannequins non-blancs à arpenter le catwalk.
Donyale Luna
Aujourd’hui, malgré toute la bonne volonté de la fashion sphère et de nombreux créateurs, beaucoup de choses restent à faire. À commencer par ce que l’on ne voit pas forcément. Si le staff et les podiums se diversifient, il reste tout de même un voile sur les backstages du défilé, comme les maquilleuses par exemple. À l’époque déjà, l’un des mannequins les plus iconiques de tous les temps, Naomi Campbell était obligée de venir avec son propre maquillage. Aujourd’hui, le constat reste le même, à quelques exceptions près. Du maquillage aux cheveux en passant par la silhouette, le chemin est encore long, et loin.
Le plus gros point rouge de cette inclusivité reste tout de même les vêtements. Rappelons que les Fashion Week, en plus d’être les événements mode les plus suivis et importants de la planète, dictent les tendances et les modes à venir. Mais comment peut-on se projeter si la plupart des collections ne sont pas portables par tous ? Faire défiler des mannequins taille 40 ne veut pas dire qu’on est une marque inclusive, et ça, beaucoup d’acteurs de la mode n’arrivent pas encore à l’assimiler. Mais fort heureusement, de nombreuses griffes ont pris le virage de l’inclusivité comme ligne conductrice.
Révéler la vraie beauté
Malgré tout, on ne peut pas non plus fermer les yeux sur les nombreuses avancées des marques et créateurs. Comme une sorte d'étiquette, le mot inclusivité colle à la peau de certaines griffes. De nouvelles marques ou labels réussissent à apporter un élan de fraîcheur aux Fashion Week et au fashion world. Sublimer tous les corps est devenu leur ligne conductrice, et c'est à travers cette évolution positive que la mode prend cette direction. De Ester Manas à Nensi Dojaka en passant par Ganni et Di Petsa, les nouveaux créateurs osent, mettent en avant la différence non pas comme une particularité mais comme une banalité, et ça fait du bien.
Inclusivité, body positivisme et différences devraient être des mots normés, et non des exceptions. La mode se diversifie et commence enfin à enlever ses oeillères, mais n'est-ce pas déjà trop tard ?
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Crédit photo : Hadrien Chevalier