Discutons avec Jacques Chassaing
05 May. 2022
Discutons avec Jacques Chassaing
Nous sommes le samedi 26 mars et il est 14h lorsque franchit la porte de notre studio. De passage à Paris avec sa femme comme c'est souvent le cas le weekend, le designer strasbourgeois ne s'installe pas tout de suite dans le fauteuil qui l'attend pour son interview. Curieux de découvrir ceux qui se cachent derrière le au million d'abonnés qui l'a contacté sur Instagram, Jacques enchaîne les questions en entamant la visite de nos bureaux. Difficile de réaliser qu'on est en train d'expliquer le marché de la revente de sneakers à celui qui a eu Peter Moore comme mentor et qui est à l'origine de la adidas Forum et de la gamme ZX de la marque aux trois bandes. Mais après plus de 30 minutes de partage autour d'une passion qui gomme les années qui nous séparent, Jacques foule enfin notre fond jaune pâle avec sa Forum et s'assoit dans son fauteuil pour répondre à notre première question. Pour les French Days, Jacques Chassaing, un des plus grands designers tricolores que l'industrie ait connu, nous raconte son histoire.
Comment êtes-vous arrivé chez adidas ?
Comme j'étais localisé dans la région de Strasbourg, la marque de sport la plus proche de l'endroit où je vivais, c'était adidas. Et à côté de ça, c'était une marque de sport et j'ai toujours beaucoup aimé le sport, surtout la recherche, l'innovation, la créativité... et le côté "comment améliorer la performance des athlètes".
Pourquoi avez-vous commencé à designer des chaussures ?
Parce que j'aimais déjà le sport, mais c'était plutôt le côté : "qu'est ce qu'on peut faire pour améliorer le confort de l'athlète ?", pour améliorer ses performances, parce que l'objectif de l'athlète c'est toujours d'améliorer ses performances.
Tout le monde veut des paires rétro, l’industrie est-elle en panne d’inspiration ?
Non, moi je ne pense pas qu'elle en manque. Il y a un manque d'innovation dans le monde du sport et j'ai l'impression que quand on voit des produits, comme on dit très vintage, les gens ont plus confiance dans ce type de produit, alors que le côté vintage des produits, que ce soit une Superstar, une Stan Smith, etc... ce sont des produits qui ont une certaine longévité, qui ont créé un certain statut et qui font en sorte que les gens ont confiance. Pourquoi des produits comme ça, comme les Air Force 1 ou les Stan Smith, pourquoi ça marche ? Je pense que ces produits ont dépassé le statut d'objet. C'est plus que ça, c'est-à-dire qu’il y a une espèce de connexion émotionnelle qui s'est construite, qui s'est créée avec le consommateur.
Quelles sont les différences entre le design d’hier et celui d’aujourd’hui ?
Écoutez, quand j'ai commencé, notre idée à nous, c'était de faire une nouvelle chaussure de sport. Et à l'époque, on parlait de chaussures de sport et aujourd'hui on dit sneakers, c'est déjà une évolution. Et puis quand j'ai commencé, on était orienté vraiment performance.
Comment travaille-t-on avec des athlètes ?
J'ai rencontré des gens comme Ivan Lendl, j’ai rencontré des gens comme Stefan Edberg, et j'ai rencontré des footballeurs en France, etc... Rencontrer des athlètes de haut niveau c'est un processus très mental. Une fois j'ai rencontré un footballeur, qui jouait à Nantes, qui est aujourd'hui un entraîneur et même sélectionneur d'une équipe nationale. Il m'a montré ses chaussures qui étaient en très mauvais état parce qu'il a joué longtemps avec, mais ils ne voulait pas les changer parce que justement, il a marqué beaucoup de buts avec. C’est très psychologique : "c'est avec ça que je marque des buts". C'est pas uniquement de dire à la personne : "tenez, voilà une nouvelle chaussure, un nouveau modèle". Il y a tout un processus, il faut les convaincre. Il faut en quelque sorte les éduquer à quelque chose de nouveau.
Que pensez-vous du travail de Kanye West avec YEEZY ?
Kanye West je respecte beaucoup parce que c'est un peu le côté, comment dire : fou. Et moi, j'appelle ça le côté disruptif, c'est-à-dire qu'il faut dépasser les limites, il faut casser les codes et c'est ce qu'il a fait. Il a remué un peu la soupe pour sortir quelque chose qui est différent.
En dehors d’adidas, quelles sont vos paires préférées ?
Il y a certains produits que j'aime bien comme une des premières running de chez New Balance. Chez Reebok j'ai bien aimé quand Reebok est venu avec le côté aérobic et fitness.
Quel regard portez-vous sur l’industrie actuelle ?
C'est un regard très positif parce que ça ne reste pas statique. Il y a toujours une évolution. Finalement, je suis un témoin visuel de l'évolution, mais j'ai évolué moi-même. Au départ le consommateur c'était l'athlète, cette évolution a fait que l’athlète est toujours resté, mais à côté de ça s'est greffé un autre consommateur qui est le consommateur de rue.
Que diriez-vous à un jeune designer qui veut se lancer ?
Je lui dirais d'être en premier créatif, mais dans le bon sens. C'est-à-dire de penser comme on dit en anglais "out of the box". C'est-à-dire aller plus loin que les autres parce que finalement, vous réussissez quand vous êtes déjà différent.
Photo de couverture : Wethenew