18 Jan. 2022
Comment le techwear s'est imposé dans nos quotidiens
Que ce soit dans les armoires des icônes de la mode comme Travis Scott et Bella Hadid ou dans les nôtres, le techwear fait désormais partie intégrante de nos quotidiens. Imperméables à la crise, les vêtements techniques représentés par des marques comme , , , ou inondent le marché avec une popularité sans précédent. Complètement assimilée par le streetwear, la tendance de l'outdoor s'étend même aux sneakers avec de plus en plus de collaborations entre les marques dominantes de l'industrie comme Nike ou New Balance.
Pour analyser cette ascension du techwear vers les sommets nous avons fait appel à un trio aux profils complémentaires composé de , PR Outdoor pour /, , chef de projet junior chez Wethenew et , athlète et capitaine de . Des premières ascensions du genre à l'arrivée du techwear dans la sneaker en passant par sa conquête du streetwear, équipés de leurs lampes frontales, nos grimpeurs du jour nous éclairent sur le phénomène.
Les premières ascensions
Avant de se retrouver sur les épaules de tous les randonneurs urbains, où trouvait-on ces vêtements techniques ? Pour Ruddy, il suffit de traverser la Manche pour pister les premières traces de Gore-Tex : “Je pense qu’à Londres, ils ont une vraie culture du techwear. Cette culture est naturelle et passionnée chez eux : tu vois qu’ils ont cherché à trouver le meilleur fit pour pouvoir vivre au mieux avec leur climat (rires). Rester au sec dans des vêtements fonctionnels et stylés, voilà comment ils se sont adaptés à leur environnement.” Du côté de Lucas et Anne, leurs souvenirs d’enfance illustrent que le techwear a en quelque sorte toujours fait partie de l’outdoor et des virées vers les grands espaces.
Le chef de projet se rappelle : “Mon premier souvenir, ce serait les balades en famille les week-ends quand j’étais petit, c’était un truc que je n’aimais pas trop à la base. On devait porter du Quechua ou du Lafuma”, alors que Anne a littéralement baigné dans cette culture : “Comme je viens d’un petit village à côté de Grenoble, j’ai été bercée par la mode Quechua et Lafuma. J’ai grandi dans cet environnement où l’on portait des vêtements de sport au quotidien, de montagne, c’était assez naturel. À mon sens, je pense qu’il y a toujours eu des personnes qui ont porté des vêtements techniques. Cette tendance existe depuis longtemps mais le boom a été fait il y a 6/7 ans à Paris. Mais ça restait essentiellement de niche.” Comme Anne le retrace très bien, le techwear s’est étendu au bitume des villes il y a déjà plusieurs années et ce lifestyle fait désormais partie intégrante du streetwear.
Quand le streetwear se met en Gore-Tex
Sur les catwalks ou dans les streetstyles de la Fashion Week, dans les médias streetwear mainstream comme ou plus niche comme , le techwear est omniprésent. Quand on évoque ce qu’il aime dans ses pièces techniques, en tant que bon spécialiste du vêtement, Lucas loue évidemment leur construction : “Les matériaux sont durables et de qualité, c’est ce qui me plait dans ces marques.” Experte en la matière et spécialiste Arc’teryx, Anne confirme : “Arc’teryx est une marque de design, tout est bien pensé, les fits des produits sont impeccables. C’est le Apple de l’outdoor. Les produits sont imaginés, fabriqués par des passionnés à Vancouver, aux pieds des montagnes. Ils vont tester eux-mêmes les produits sortis du labo. (...) Forcément on a envie de faire confiance à une marque pour laquelle le moindre détail compte.”
Aussi convaincus par la qualité et le design des vêtements techniques, les trendsetters ont aussi joué un rôle primordial dans la démocratisation du genre. “Voir des personnalités influentes comme Frank Ocean, Travis Scott ou Virgil Abloh porter du techwear, ça a forcément un gros impact”, introduit Ruddy. Anne va dans le sens du runner et confirme : “Dans notre microcosme parisien, ce sont les créateurs de mode qui ont joué un rôle important. Je pense à Virgil Abloh qui, lors de son défilé pour Louis Vuitton en 2020 à Paris a salué son public avec une veste Alpha SV. (...) Et puis bien sûr avant les créateurs de mode, il y a bien entendu les rappeurs US, Drake, Frank Ocean, A$AP Rocky... Les acteurs américains aussi étaient tous en casquette et petite doudoune Nano Puff Patagonia. Ça a commencé avec Patagonia, The North Face, et maintenant Arc’teryx.”
Techwear x streetwear : je t’aime moi non plus
Maintenant que toutes ces marques sont bien installées dans nos quotidiens, doivent-elles quitter la montagne pour faire du streetwear ? Certaines l’ont déjà fait comme Ruddy l’expose avec le cas d’école The North Face qui “fait ça depuis des dizaines d’années et qui est maintenant presque plus développée dans la mode urbaine que dans sa première utilité, l_’outdoor.”_ À l'inverse, l’année passée que la marque canadienne n’avait pas envie de s’adresser au streetwear. La RP d’Arc’teryx France ajoute : “Arc’teryx ne cherche pas à séduire cette culture du streetwear. C’est ça qui attire. (...) Arc’teryx a un ADN technique très fort. Les produits sont fonctionnels et minimalistes.”
Destinée à la montagne, la marque est pourtant portée dans les grandes villes où les nouveaux adeptes du genre, faute de conditions climatiques extrêmes, testent même leurs vestes dans leurs douches. Anne atteste de ce phénomène : “c’est incroyable, tout le monde veut sa Alpha Jacket à Paris alors que ce n’est vraiment pas une veste adaptée pour la ville, elle est si technique !” Mais si la ville se met à porter les vêtements destinés aux grands espaces, les citadins eux aussi, veulent goûter au grand air.
La soif de grand air
En pleine crise sanitaire, à l’heure où les citadins ressentent de plus en plus l’appel de dame nature et rêvent de se mettre au vert, le techwear peut-il faire office de fenêtre ouverte vers le grand air ? Selon le capitaine de POWERUP, la réponse est simple : “Tu as vraiment l’impression que l’ouverture de l’outdoor dans les grandes villes donne au consommateur l’envie de sortir pour aller explorer de nouveaux horizons. Tu vois dans Paris de nombreux groupes de courses qui font de plus en plus de trails, des groupes de randonnées “cool” se faire des weekends en nature...” Anne abonde dans ce sens : “Il y a aussi cette réalité où les gens font de plus en plus de sport et ont un besoin d’être dans la nature, de voir autre chose, des grands espaces, de la verdure. (...) Pour pratiquer tout ça, on a besoin d’être équipé, d’avoir des vêtements techniques pour réguler la transpiration ou pour se protéger des éléments.”
Pionnière en matière de développement durable, les marques outdoor ont aussi bénéficié de la prise de conscience globale pour une consommation plus responsable. “Aujourd’hui, on veut consommer mieux et les marques outdoor sont les premières à avoir mis le pied à l’étrier en recyclant des chutes de tissus par exemple. (...) Ce switch est intéressant puisqu’on se dirige vers une consommation plus saine où l’on investit davantage dans des produits de qualité et plus durables. Chez les marques outdoor il y a tout un travail de R&D pour fournir un produit qui traverse le temps. On ne consomme pas une veste Arc’teryx, Millet, Patagonia comme une veste achetée chez H&M”, comme le confirme la RP. Mais alors que l’ascension du techwear semble inarrêtable et que les marques posent leurs drapeaux sur tous les sommets, elles peuvent aussi compter sur l’arme la plus redoutable de la mode de ces dernières années : la collaboration.
Le techwear, perméable à la collaboration
Supreme x The North Face, Arc’teryx x Palace, Salomon x COMME des GARÇONS... le techwear n'échappe pas au mot préféré de l’industrie de la mode : la collaboration. Élargir son audience, acquérir un nouveau savoir-faire, travailler son image... Lucas souligne lui aussi ce win-win né du mélange des genres : “Ce sont des pièces faites pour rester au sec et au chaud pendant l’hiver, réinventées par les grandes maisons pour les défilés de la Fashion Week, à l’image de la collaboration entre Gucci et The North Face qui apporte une valeur ajoutée pour le luxe et qui offre un nouvel aspect aux vêtements du quotidien.”
Anne poursuit dans le partage des connaissances mais aussi de licences dont le luxe ne bénéficie pas toujours : “Les marques de mode sont allées chercher l’expertise auprès des marques outdoor dans le but de proposer des vêtements techniques et fonctionnels. L’objectif pour ces marques de mode est d’obtenir une certaine crédibilité auprès de leurs clients en s’affichant avec des marques qui ont des licences (type Gore-Tex).” Friandes de nouvelles explorations et de s'élever avec l’outdoor, les marques de luxe ont voulu intégrer la bonne expedition incarnée par le genre, avec les histoires qui vont avec : “Les marques de luxe ne pouvaient pas inventer l’histoire d’un alpiniste qui avait gravi tel ou tel sommet. Mais en s’associant avec une marque outdoor, ces dernières ont pu “bénéficier” d’un certain patrimoine, le temps de la collaboration”, poursuit Anne. Et ce partage de patrimoine ne se limite pas qu’aux vêtements.
Les sneakers aussi veulent rester au sec
Moins développé que dans les vêtements, l’outdoor s’est aussi frayé un chemin dans l’industrie de la sneaker. Avec des marques comme Salomon, ou même , non loin du style si populaire du cosywear, l’outdoor a effectué ses premiers pas dans ce marché dominé par Nike, adidas et consorts. Comme Lucas le précise, certaines silhouettes ont su séduire un nouveau public : “J’aime beaucoup les Salomon XT-6, elles sortent du spectre techwear et réussissent à se frayer un chemin dans le sneaker game avec des collaborations avec , ou encore .” Anne partage elle aussi ce point de vue : “L’outdoor est déjà présent dans la culture sneakers. L’exemple de Salomon est concret. Des marques de mode s’en inspirent d’ailleurs. Beaucoup portent en ville des Hoka One One, et plus récemment, le label On Running arrive progressivement.”
Industrie à part entière avec des codes bien établis, le marché de la sneaker ne devrait pas plier sous la vague du techwear mais comme l’indique Ruddy, les passerelles entre les genres sont désormais naturelles : “Je ne pense pas que le futur de la sneaker sera porté sur l’outdoor mais les marques dominantes vont continuer à collaborer en masse. On voit qu’il y a beaucoup plus de liberté dans le mélange de marques et d’univers totalement différents.” Designées pour découvrir de nouveaux horizons, il semble que les marques outdoor adhèrent aussi elles-mêmes à leur fonction première. Avec un horizon aussi dégagé, quel futur le Gore-Tex peut-il s’offrir ?
Le futur s’écrira-t-il en techwear ?
Actuellement bien installé dans le paysage, le techwear va-t-il continuer de remplir nos armoires ? Lucas a son avis sur la question : “Je ne pense pas, comme toutes les modes, cela va finir par s’essouffler même si ça restera porté dans la rue. Les pièces intemporelles comme les coupe-vents resteront des essentiels de nos dressings.” Ruddy partage cet avis et dans le schéma cyclique qui dicte les tendances dans la mode, les vêtements techniques trouveront leur place selon le runner : “Aucune tendance ne disparaît vraiment, elle est juste mise de côté pour être modifiée et réutilisée par d’autres. On recycle tout. Il a toujours été présent mais à "moins grosse dose" que maintenant. Mais vu l’engouement qu’il y a autour, tant que le citron ne sera pas trop pressé, les marques continueront d_’en extraire le jus.”_
Même s’ils ne l’enterrent pas, nos deux invités du jour anticipent déjà les prochains changements de cycle. Anne, de son côté a une vision légèrement plus optimiste : “L’outdoor a un bel avenir devant lui. Les marques outdoor vont continuer à innover. (...) Cette tendance évoluera comme beaucoup de choses mais ne disparaîtra pas.” Et comme Anne l’affirme, si le techwear est désormais bien installé dans nos lifestyles, c'est qu'il est devenu bien “plus qu’une tendance, c’est devenu un mode de vie.”
Photo de couverture : Palace Skateboards