Tribune : que pensent les athlètes de l'interdiction du port du voile aux JO 2024 ?
22 Oct. 2023
Tribune : que pensent les athlètes de l'interdiction du port du voile aux JO 2024 ?
"On se bat pour la même chose : le droit de choisir". Voilà les propos de la sportive Salimata Sylla sur l'interdiction du port du voile aux JO 2024 de Paris. Mais ce choix, la France l'a déjà fait pour les athlètes. C'est au micro de Dimanche en Politique sur France 3, le 24 septembre dernier, que la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a annoncé la nouvelle. Et c’est au nom de la laïcité que cette décision a été conclue. Une mesure clivante, jusque dans le cercle des athlètes professionnels, qui ne comprennent pas cette annonce. À cette occasion, le Blueprint est parti à la rencontre de certains athlètes, pour leur donner un droit de réponse.
"Pour ce qui est de la position française sur le sujet, nous avons, à la faveur d’une décision récente du Conseil d’État exprimée de manière très claire avec la Première ministre notre attachement à un régime de laïcité stricte, appliqué strictement dans le champ du sport. Ça veut dire l’interdiction de toute forme de prosélytisme, la neutralité absolue du service public" a déclaré la ministre des Sports.
Une neutralité nuageuse
Neutralité et laïcité, des mots communs, mais qui ne font pas sens pour tout le monde. Le gouvernement français estime que l’obligation de neutralité des tenues de sport garantit le bon déroulement des matchs. Parmi les sportifs, la réponse est souvent la même. Dani, entraîneur et athlète de haut niveau, s’exprime, d’un air désabusé : "Je pense que le sport est quelque chose d’universel qui doit fédérer les gens et les unir”, martèle-t-il. “C’est quelque chose qui permet aux personnes venant de différents milieux de pouvoir tous s’exprimer sur un pied d’égalité.” Selon lui, les curseurs ne sont pas au bon endroit : “Je pense qu'on devrait autoriser les gens à porter ce qu’ils veulent, tant que ça n’augmente pas les performances. Il y a des problèmes bien plus intéressants à étudier pour les JO.”
La réponse reste la même pour Inès, athlète et ancienne membre de l’équipe de France d'athlétisme : "Ça n'a pas de sens de faire ça maintenant. Je ne comprends pas ce qu'ils veulent prouver. Que c'est un pays laïc ? On le dit tout le temps. Mais au final, ils ont accepté dans plein de compétitions, qu'elles le portent. Pourquoi l'interdire maintenant ? "
D’un sport à l’autre, les règles changent
En juin dernier, la question du voile avait déjà fait débat en France. Le Conseil d’État avait décidé de maintenir l’interdiction du voile islamique dans les compétitions organisées par la Fédération Française de football. Mais les instances internationales, elles, ne partagent pas la même opinion. La FIFA autorise les joueuses à porter le hijab sur les terrains depuis 2014. Cet été, lors du mondial féminin en Nouvelle-Zélande et en Australie, la défenseuse marocaine Nouhaila Benzina est ainsi devenue la première joueuse voilée de l’histoire de la compétition.
Outre Atlantique, les choses sont similaires. L’escrimeuse Ibtihaj Muhammad est devenue la première américaine portant le voile à représenter son pays aux Jeux olympiques de 2016. Elle s’était d’ailleurs exprimée sur ses réseaux sociaux : “le fait d’être interpellées au sujet du foulard ne fait que renforcer notre détermination à le porter”. Une première victoire, qui n’est sûrement pas la dernière. Un an plus tard, le groupe Mattel détenteur de la poupée Barbie, a conçu la première poupée voilée, en l’honneur de la sportive.
En France, comme à travers le globe, certaines fédérations ont des règles plus souples à ce sujet, comme la Fédération française de handball et de rugby. De même pour la Fédération internationale de basketball, de karaté, d'athlétisme, de boxe et de tennis.
Comme la FFF, celle du basketball s’y oppose, ou du moins, émet certaines distances. Selon Salimata Sylla, basketteuse depuis 10 ans, qui jouait en nationale 3 et qui porte le hijab, “le contexte dure déjà depuis un moment”. Interrogé par le Blueprint, quand on lui demande ce qu’elle aurait pu apporter comme réponse au gouvernement, elle ne met pas longtemps avant de s'exprimer : “Ils sont en train d’exclure des femmes françaises, qui ont choisi leur sport autant que leur religion". Avant d’ajouter, “il n’est stipulé nulle part dans la loi qu’on ne doit pas porter le voile durant les pratiques sportives. Selon moi, ils sont en train d’exclure une communauté. On connaît le pouvoir du sport qui est notamment l’émancipation des jeunes filles. Ils sont tout simplement en train de faire reculer cette avance pour elles.”
“On se bat pour la même chose : le droit de choisir”
Outre les athlètes, certaines institutions ont pris la parole, pour contester la décision du gouvernement. C’est le cas du Comité International Olympique (CIO) ainsi que de l’ONU, qui voit ce décret comme une forme de discrimination : “personne ne devrait imposer à une femme ce qu’elle doit porter ou non”. Une phrase forte de sens et de mots, qui en dit long. Salimata rejoint complètement les propos de l'organisation internationale, se disant “tout à fait d’accord avec cette phrase”.
En janvier 2023, elle s’est retrouvée exclue d’une compétition à cause de son foulard. À partir de ce moment, elle a décidé de libérer la parole, en commençant par accorder une interview au magazine Le Parisien. Aujourd'hui, c’est entre les lignes du Blueprint qu’elle se confie : “Je voyais beaucoup de commentaires haineux comme “les femmes iraniennes se battent pour l’enlever, alors que vous demandez à le garder”. Selon moi, on se bat pour la même chose : le droit de choisir. J’ai choisi le basket autant que ma religion. Et je ne vois pas pourquoi je devrais choisir entre l’un et l’autre. Quand il s’agit d’autres religions, cela n’a jamais été mentionné, comme les tatouages avec des croix ou les chapelets. Quand on voit une femme musulmane on parle de la laïcité, alors que quand on voit une femme ou un homme avec un chapelet, c’est moins important. Pourtant, on vient tous pour la même chose, qui est de faire du sport”.
Un R qui fait la différence
Un facteur culturel et non cultuel, ce sont les propos avancés par le Comité International Olympique, qui réfute à son tour la décision de l’État français. Une seule lettre, et les choses ont tout de suite un impact différent. Entre le hijab interdit par la FFF et le port du voile prohibé par le gouvernement pour les JO 2024, les droits sont parfois bafoués ou mal respectés. Seulement, pour certains comme Victor, tennisman de longue date, “la France est laïque”. Pour lui, tout signe religieux est prescrit, quel qu’il soit ! Il en parle avec conviction, et défend ses propos : “Selon moi, la décision du gouvernement est justifiée car les Jeux se déroulent en France”, affirme-t-il. “Il est donc nécessaire de respecter la loi. Ce n’est que le suivi de l’interdiction du port du voile pour les joueuses françaises”.
Pour les autres athlètes interrogés, la réponse n’est pas la même, et reste unanime. Selon Dani, "on s’obstine sur un sujet qui devient même un sujet sensible à force.” Il poursuit, d’un ton impactant et déterminé : “Que ce soit le voile ou autre chose, c'est vraiment permettre aux gens de venir habiller comme ils le souhaitent pour peut-être, le moment le plus important de leur vie. Parce que s'habiller, c'est aussi une manière de s'exprimer.”
La France est en effet un pays libertaire, qui autorise bon nombre de libertés, dont l'expression. Cette petite lettre r qui disparaît dans un mot pour réapparaitre dans un autre, change toute perception, allant même jusqu’à contraindre une liberté. Salimata elle, a du mal à se rendre compte de la nuance, mais en même temps, elle sait ce qu’elle dit et ce qu'elle pense : “À partir du moment où je viens faire du basket, que je porte un couvre- chef ou pas, il est possible que je le porte pour certaines raisons. Là où il y a un vrai problème, c’est ce que je suis en étant une femme musulmane. Ça leur pose un problème. Mais ils devraient plutôt se questionner sur d’autres choses, comme pourquoi je le porte ? Pourquoi en ai-je vraiment besoin ?”
Pourquoi en avoir besoin ? C'est une question sur laquelle le gouvernement aurait dû se pencher avant de prendre cette décision. Outre une appartenance à une communauté religieuse, le voile est quelque chose de personnel et d'identitaire, qui appartient à chacun. Nike a choisi de commercialiser le hijab pour les femmes athlètes, et ce n'est pas pour rien. Il serait donc question de remettre en cause la question d'inclusivité dans l'Hexagone. Pourquoi ne pas prendre exemple sur les autres pays pour commencer ?
Crédit photo : linternaute