New Gen, rappeurs OG, TikTok… C’est quoi le rap en 2023 ?
08 Nov. 2023
New Gen, rappeurs OG, TikTok… C’est quoi le rap en 2023 ?
La montée en puissance de la New Gen a secoué la scène musicale française. Depuis plusieurs années maintenant, des artistes comme Khali, Rouhnaa ou J9ueve nous transportent dans des univers détonnant avec ce qu’on connaissait jusqu’alors dans le rap français. Et s’ils sont parfois loin de conquérir les plus fervents défenseurs de l’Old School, ce souffle de fraîcheur redistribue les cartes.
Il y a peu, Ninho sortait un album qui malgré les chiffres, a reçu un accueil mitigé. On prend les mêmes et on recommence. Les fans ont l’impression que, celui qu’on considère comme LE ‘rappeur’ de sa génération, nous resservait la même sauce depuis quelques années. Et c’est ce sentiment grandissant envers pas mal d’OG qui pousse les gens à s’intéresser, de plus en plus, aux jeunes rookies.
Ces nouveaux artistes sont, en plus de ça, animés par des objectifs différents de leurs ainés. ‘’Si j’grattais pas un euro, j’aurais déjà arrêté le pe-ra’’. À l’inverse de la punch du couplet légendaire du Jefe dans ‘Longue vie’, la New Gen place la création au-dessus de la plata et de la célébrité, les différenciants des plus anciens.
D’ailleurs, certains de leurs doyens tentent de conquérir le jeune public, en appliquant leurs codes. Booba avait, par exemple, été vivement critiqué lors de son apparition à la ‘French House’, maison regroupant des TikTokeurs en vogue. Et TikTok n’attire pas que le Duc de Boulogne : beaucoup de rappeurs tentent d’intégrer à leurs textes des paroles pouvant créer une trend, et alors, propulser leurs musiques. La street cred en prend un sacré coup.
Alors, entre TikTok, la New Gen ou la place des rappeurs OG, qu’est-ce que le rap français en 2023 ? Pour dresser un portrait fidèle de la sphère musicale actuelle, le Blueprint a sollicité l’aide de 2 intervenants, professionnels du milieu : , Head of Hip-Hop chez Apple Music, et Chahinaz, journaliste chez Booska-P.
L’industrie actuelle du rap français
Une affaire qui fonctionne…ou pas ?
En France, le rap c’est un peu le nouveau croissant/baguette. Même s’il a fallu une bonne quinzaine d’années avant que celui-ci soit totalement démocratisé, cette ‘sous-culture’ prend désormais une place dominante, que ce soit en nombre de streams, mais également en termes d’influence. Le Philharmonie de Paris avait, par exemple, mis en place l’exposition ‘Hip-hop 360’, propulsant la street culture dans les musées. Mais, qui dit popularité, dit critiques inévitables. Parmi elles, on peut en trouver certaines qui expriment une forme de lassitude, un sentiment d’absence de renouvellement.
Mehdi Maïzi s’exprime : "Si on écoute effectivement que le rap mainstream, peut-être qu’on ne va pas y trouver son compte, et encore ça dépend. Mais si on creuse, il y a plein de choses qui sont encore excitantes. Donc, je pense qu’il y a une lassitude, vis-à-vis d’albums qui se ressemblent tous. Quand les gens appellent toujours les mêmes personnes en featuring, les mêmes producteurs…. Mais, c’est dur de dire que le rap se ressemble quand on a à la fois des Winnterzuko, des Sadek et des Ninho. C’est pas la même musique. Je pense qu’il y a une lassitude vis-à-vis d’une certaine scène, qui est dominante. Mais, quand on voit le taux de remplissage des salles de concert, des line up de festivals, il n’y a pas l’air d’avoir une lassitude du rap français.".
Chahinaz semble, quant à elle, plus pessimiste. Lorsqu’on la questionne sur un artiste/projet l’ayant marqué en 2023, elle répond : "Cette année-là, on n’a pas eu de choses marquantes. Que ce soit visuellement comme musicalement, même en termes de scènes, de concerts… J’ai pas grand-chose qui m’a marqué. Effectivement, j’ai eu mes petits coups de cœurs qui m’ont attrapé pendant des périodes dans l’année, mais j’ai pas de gros projets que je peux ressortir. Cette année, je la trouve vraiment spéciale.".
Produire ou dormir, telle est la question
Cette impression de monotonie peut également être liée à la manière de consommer la musique. Une présence constante est souvent demandée aux artistes, les poussant à enchaîner les projets, à produire continuellement, quitte à ne pas laisser place à la recherche d’inspirations, de repos créatif. Lorsqu’un artiste ne sort rien pendant 2 ans, on s’inquiète, en se demandant s’il a arrêté la musique (R.I.P Nekfeu, qui ne reviendra probablement jamais depuis son départ au Japon).
Mehdi Maïzi nous explique : "Parfois, on peut avoir l’impression que respecter son public, c’est être tout le temps présent, donner tout le temps de la musique, parfois de la musique qui n’est pas aboutie. Non, ça peut aussi être prendre un pas de recul et revenir quand on est vraiment prêt.".
La meilleure réponse, c’est l’attaque. Lorsqu’un fan affirmait, en parlant d’Ateyaba, il y a quelques années : "L’album tarde et tu perds ton public". Le rappeur avait réagi en tweetant le mémorable : "Pas grave, j’en trouverai un autre’". Une réponse pleine de confiance en soi, qui s’est confirmée à la sortie de ‘La Vie En Violet’ en 2023, presque 10 ans après son dernier projet.
Selon Chahinaz, la New Gen arrive aussi, justement, à trouver cet équilibre : "Ces 15 dernières années, on était dans un rythme ou on consommait la musique très rapidement, avec des artistes qui sortaient des projets tous les 6 mois, voire tous les 5 mois. Que ces artistes-là aient forcé, en quelque sorte, le public, à ralentir cette consommation de projets, de clips, de visuels, je trouve que c’est une bonne chose.".
Une relève signée la ‘New Gen’
Cela fait maintenant plusieurs années qu’une nouvelle génération affirme sa place, petit à petit. NeS, Winnterzuko, Khali… Les représentants de ce qu’on nomme la ‘New Gen’ gagnent du terrain dans nos playlists, jusqu’à même être certifié disque d’or, comme pour le projet ‘ERRR’ de La Fève. Mais avant de parler d’une relève déjà bien en place, nous avons demandé à nos intervenants de définir la New Gen, terme parfois un peu flou, qui rassemble des artistes aux univers pourtant bien distincts.
''La New Gen, il n’y a pas forcément de sons communs. » nous explique Mehdi Maïzi. « Si on prend NeS ou Winnterzuko, c’est pas la même musique. Mais ce qui les réunit, c’est l’absence de compromissions. Peu importe dans quoi ils vont aller, ils vont le faire à fond. (…) C’est ça qui est intéressant, il y a une volonté de faire comme ils le sentent, sans forcément penser à l’industrie.".
Et cette volonté et détermination, Chahinaz nous la confirme : "C’est une génération qui est bien plus polyvalente que l’ancienne. Parce que comme c’est des mecs, des meufs, qui ont appris à faire du rap dans leur chambre, dans des studios improvisés avec leurs potes, ils sont rappeurs, beatmakers, ingé sons, ils savent mixer… Ils ont plein de compétences qu’ils ont souvent apprises de façon autodidacte.".
Cette scène underground, c’est plus que des simples sonorités. C’est tout un état d’esprit : ne pas avoir d’œillères, et ne pas avoir de préjugés. Travailler avec une dizaine de beatmakers différents pour un seul projet ? La Fève. Raconter son immigration avec des sonorités de boîte de nuit ? Winnterzuko. Couper le son par des ‘bugs électroniques’ ? Wasting shit. Tous, à leurs manières, développent leurs musiques en brisant les codes dits ‘classiques’, donnant des projets ultra puissants.
TikTok : quand les trends prennent le pouvoir
‘’Les boloss pètent un câble, le son n'est pas tiktokable’’. Kaaris n’est peut-être plus trop dans le coup, mais en tout cas, il soulève un point intéressant. Une des particularités de cette nouvelle vague est aussi sa manière de promouvoir sa musique. À chaque génération, son média. Si à l’ancienne, on se faisait connaître grâce à des sessions freestyles comme les Rap Contenders sur YouTube, désormais, TikTok is the place to be. Et, comme à chaque nouveauté, son lot de remises en question. Certains critiquent la manière dont les labels et les rappeurs s’emparent de l’algorithme afin de faire percer leurs musiques.
"Comment je vois la relation ?" nous dit Mehdi. "Je pense qu’effectivement, il y a des artistes qui sont un peu cyniques, et qui font des choses pour TikTok, mais je pense que c’est une erreur. Puisqu’en fait, quand vous voyez qu’il y a des morceaux parfois qui ont 5 ans, qui pètent sur TikTok, ils ont pas été faits pour la plateforme. Donc, c’est intéressant parce qu’on est sur une inconnue.". En passant de la découverte de Vacra, à la redécouverte des sons d’YL, le public est maintenant servi en termes de pluralité musicale.
Pour Chahinaz, cette interrogation est bien française. D'après elle, le phénomène est plutôt positif. Elle mentionne : "Par exemple, un mec comme Menace Santana, il a beaucoup reposé sa comm sur TikTok. Pourtant, c’était bien fait, de façon intelligente. Il y avait du sens, un fond derrière, moi je vois pas ou elle est la problématique (…).’’ Elle poursuit : ‘’Chaque génération grandit avec son application, donc moi j’ai aucun problème à voir des collégiens danser sur Urus ou que sais-je, alors que moi, je faisais la même avec du Logobi GT sur Facebook (…). Tant mieux si ça peut être un plus pour révéler des artistes ou pour aider des artistes déjà installés, à profiter de cette lumière-là aussi.".
Choose you’re fighter : New Gen VS Old School
Cette recherche de nouveauté perpétuelle, c’est bien l’essence du rap ! Depuis ses débuts, le genre ne cesse d’évoluer aussi bien dans la manière de poser son flow, que dans les beats utilisés. Mais, lorsqu’on a connu l’essor de la trap, par exemple, et qu’on en a fait sa spécialité, comment on arrive ensuite à moderniser sa musique, quand le sous-genre s’essouffle ?
À chaque nouvelle naissance, s’en suit la question d’adaptation des anciens. Le rap, c’est pas vraiment comme le foot : une carrière peut se poursuivre au-delà des 35 ans. Mais, tout est question d’adaptation et d’ouverture dans cette "musique très jeuniste", selon Mehdi. Si les jeunes chassent vite les OG, la relation qu’ils établissent entre eux ne peux qu’être intéressante.
Prenons le cas de Rim’K. Rappeur emblématique du groupe 113, celui-ci a pourtant réussi à maintenir sa popularité, tout en s’intéressant aux différents sous-genres du rap : jersey, plugg… "Il a pris sous un aile un rappeur comme Jwles." explique Chahinaz. Et c’est d’ailleurs dans son feat avec le jeune parisien, ‘Unique’, ou dans son morceau ‘Iceberg’ que notre tonton préféré s’essaye au DMV flow : défi plutôt réussi qui lui assure de pérenniser sa place dans la sphère musicale… D’autres cependant, ont moins réussi à prendre le train en marche. Petite pensée pour Kery James, qui en plus de se prendre les foudres de Twitter tous les 4 matins, n’a pas réussi à relever le défi de la prod type JUL sur le titre ‘Trop bizarre’.
"C’est possible de faire des liens, de créer des transmissions, mais maintenant, c’est au bon vouloir des artistes. Est-ce que les anciennes générations acceptent d’être tournées vers les jeunes, et est-ce que les nouvelles générations acceptent de ne pas traiter les vieux de boomer ?" conclue la journaliste Booska-P.
L’avenir appartient aux plus désireux
Si le rap est en tête des streams et bat tous les records, on peut tout de même se questionner sur la durabilité du genre dans les prochaines années. Avec tous ces nouveaux paramètres, comment celui-ci va-t-il évoluer ?
Quand le pouvoir change de camp
La force décisionnelle du public s’est par exemple renforcée, notamment avec la puissance de TikTok. Mehdi Maïzi nous explique que, même si les auditeurs ont toujours eu une certaine influence sur l’industrie, celle-ci s’est accentuée avec l’arrivée de l’application chinoise : "Ce qui marche, c’est les gens, c’est eux qui décident, qui s’emparent des morceaux. C’est ça qui est assez intéressant, on a un pouvoir qui est repris par le public. C’est déjà le cas depuis quelques années, ou il y a parfois des morceaux qui n’étaient pas vus comme des singles par les labels, et le public décide de streamer ces morceaux-là, et c’est devenu des tubes. Mais là, c’est encore plus vrai sur TikTok. Parfois, les gens décident de mettre en avant des morceaux qui sont vieux de plusieurs années.".
Il continue : "L’industrie est en train de changer, les labels se remettent en question. Pour en avoir parlé encore très récemment avec quelqu’un qui est dans un gros label, c’est un très gros sujet. TikTok et globalement, comment on influence le public, parce qu’aujourd’hui, le public est de moins en moins influencé par l’industrie, et a vraiment repris le pouvoir.".
Quelques secondes d’une musique suffisent à re-propulser certains classiques, même ceux datant de plusieurs décennies. C’est le cas en ce moment de ‘Garde la pêche’, du mythique album ‘Ouest Side’ de Booba sorti en 2006, repris de manière humoristique sur l'héritier de Musical.ly. Si vous aviez donc peur que vos meilleurs sons de l’époque tombent dans l’oubli, TikTok sera là pour garder ce lien avec l’ancienne génération.
Le rap, musique à consommer sans modération
Une grande force de cette sphère actuelle est également la dense émergence d’artistes. Aujourd’hui, l’accessibilité de cette musique, fait grimper en flèche le nombre de rappeurs. Que ce soit le freestyleur de soirée posant son flow avec un flash à la main, le rappeur soundcloud qui essaye de récupérer son ex en musique, ou bien le talent du coin, le choix est vaste, et permet de satisfaire un grand nombre d’entre nous. Cela divise alors le public en de nombreuses niches, toutes très différentes.
Mehdi Maïzi souligne cette diversité : "Je pense qu’aujourd’hui, il y a plein de niches qui sont en train d’être créées et qui vont prendre de plus en plus d’importance. Je pense que demain, il y aura moins de Ninho et plus de Laylow. Et quand je parle de ça, je parle en chiffre de ventes. Je pense qu’il y a de plus en plus de niches qui vont grossir et réussir à fidéliser des gens. ». Il mentionne : « Avant, on prenait 20 fans de rap français, ils allaient avoir forcément des artistes en commun. Aujourd’hui, c’est plus le cas : tu peux écouter Winnterzuko, Irko et Amne, tu peux écouter que de la plugg, peut-être tu vas écouter que du Booba, que de la trap. C’est ça qui est intéressant, les publics sont plus éclatés.".
Le rap, cette musique, qui nous passionne tant, ne va cesser d’évoluer comme elle l’a toujours fait. Alors, à nous d’accueillir toutes ces évolutions avec ouverture d’esprit, pour ne pas devenir, les boomers de demain…
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