Comment le custom est-il arrivé au sommet de la sneakers culture ?
14 Dec. 2021
Comment le custom est-il arrivé au sommet de la sneakers culture ?
"Creation is unlimited". Voilà ce que déclarait Virgil Abloh après son dernier show pour Louis Vuitton durant lequel le custom avait une place centrale en juin dernier. En effet, le créateur a dévoilé plus de 20 paires de Air Force 1 personnalisées, gravant dans le marbre la place centrale du custom dans la sneakers culture et dans l'industrie de la mode au sens large. Mais comment le custom est-il arrivé au sommet de la culture sneakers ? Désormais omniprésent, l'art du custom au sein duquel surnage depuis quelques saisons le vieillissement des paires devait être analysé par ceux qui le connaissent le mieux : les artistes. Ainsi, aka the sacai guy, , sneaker designer et , amateur de custom et photographe chez Wethenew, ont tenté de peindre un tableau authentique de l'influence du custom dans la sneakers culture d'aujourd'hui. À vos pinceaux.
Custom is the new luxury
Travis Scott, P.J Tucker, SCH... qu'ils soient rappeurs ou athlètes, de plus en plus de personnalités portent des customs conçus par The Shoe Surgeon, Staniflou et bien d'autres créatifs. Le Toulousain explique le succès du genre : "c’est le meilleur moyen d’avoir quelque chose d’unique, sur-mesure, où tout a été choisi par le client… les couleurs, le modèle etc… Le custom c'est le nouveau luxe. Avec le bespoke ou le custom, on a la possibilité de choisir soi-même la totalité de ce qu’on va avoir aux pieds." D'un point de vue plus personnel, Martin puise dans sa propre approche du custom pour expliquer l'explosion du genre : "Pour moi le custom est une manière d’affirmer sa personnalité**.** Je ressens toujours le besoin de m’approprier les choses, que ce soit pour les habits, les sneakers ou de manière générale, dans la vie de tous les jours."
S'approprier les choses, justement, c'est ce que Kahbane prône en reprochant à certains "artistes" de seulement surfer sur la tendance : "Je n’aime pas ce qui se fait dans les entreprises de custom classiques, c’est très commercial et pas très créatif… juste de la réponse client. Je pense que certains artistes font du très bon boulot au niveau du custom, et d’autres font juste de l’argent avec rien de très intéressant. Staniflou est chaud, philllllthy, Edmond Looi et Lorenzo G aussi..." Mais même si les artistes sont à l'initiative de ce mouvement, sans les marques et leurs sneakers, leurs pinceaux seraient orphelins de toiles. Parties intégrantes de ce jeu des couleurs et des matières, très logiquement, les marques ont aussi leur mot à dire.
Quand les marques enfilent leur bleu de travail
Quand on parle de sneakers, il y a forcément un avant et un après THE TEN. La collaboration entre Nike et Virgil Abloh a bousculé tous les codes et a redéfini les frontières du custom. Une influence que Martin souligne logiquement : "Cette collab a apporté un énorme engouement autour du custom, de la déconstruction et de la reconstruction et je m’y suis moi-même intéressé à ce moment-là. Je pense que cette collection a vraiment démocratisé le custom et le DIY et a poussé beaucoup de gens à se lancer dans cette pratique !" De son côté, Staniflou déplore le manque de créativité des marques qui, selon lui "n’ont joué aucun rôle dans cette tendance. Mais en revanche elles en ont profité. Elles ont créé des programmes (Nike By You étant le plus connu) grâce auxquels le client peut faire plus ou moins ce qu’il veut sur une paire, du moins au niveau des couleurs."
Moins critique que son confrère, Martin félicite certaines initiatives pouvant éveiller l'esprit créatif des amateurs de sneakers : "les marques ont beaucoup surfé sur cette vague du custom et du DIY, je pense surtout à Nike avec des paires comme les AF1 Tear Away. Je trouve ça très intéressant, ça peut amener les gens qui n’osaient pas trop se lancer à avoir un premier contact avec la pratique. Je trouve que ça stimule la créativité du client, et ça amène aussi à une nouvelle façon de consommer. Le client achète une paire qu’il peut modifier comme il le souhaite et au final, il a une paire unique et qui lui ressemble !" Une paire unique, insensible aux saisons et aux différentes collections qui rythment l'industrie. La tendance du vieillissement des paires vient justement renforcer ce paradoxe. Dans un monde dominé par les drops incessants et par le culte de la nouveauté, la fontaine de jouvence des sneakers est désormais incarnée par les stigmates du temps qui passe.
Le vieillissement des paires ou le syndrome de Benjamin Button
"Aujourd’hui, on assiste tout d’abord à une mode et un engouement autour des toutes premières paires comme la Air Jordan 1 High 85. C’est quelque chose qui était d’abord "réservé" aux OG, aux passionnés, et ça s’est ensuite élargi à toute la communauté sneakers en général. Le seul problème c'est leur prix. On peut facilement trouver des paires qui dépassent les 10 000€." Staniflou pose le décor derrière la multiplication des paires vieillies dès la sortie de leurs boites, comme frappées du syndrome de Benjamin Button. Le vieillissement des paires qui, selon le "Split Dude" rejoint "la mode du vintage qui revient énormément", et qui est aussi "une façon plus abordable d’avoir une paire avec un air vieilli, un air OG."
Le designer Kahbane poursuit dans ce sens en soulignant les mécaniques de l'industrie qui "fonctionne dans l’idée de récupération, d’objet rare, vieux, précieux, et je pense que le fait d’avoir des sneakers un peu vieillies, jaunies leur donne une toute autre valeur." À l'image du travail dystopique de Daniel Arsham, les paires vieillies deviennent ainsi des classiques que les traces du temps rendent éternelles. "On se lasse rapidement d’un produit neuf même si c'est une très belle pièce" ajoute judicieusement le designer. Et quand on remonte le temps pour trouver les prémices de cette tendance désormais omniprésente, Martin pointe à nouveau du doigt le fameux turning point que représente THE TEN : "Je pense que depuis la série THE TEN de Virgil Abloh et Nike, il y a eu une grosse hype autour du vieillissement des paires. À travers la collection qui recherchait ce changement d’aspect avec le temps, Virgil a su montrer qu’une paire pouvait rester belle même rockée à la mort." Mais à l'heure où les sorties s'enchainent et que la question écologique challenge de plus en plus l'industrie, le custom peut-il faire office de main tendue vers le développement durable ?
Une tendance à la main verte
"De manière générale, l’upcycling et la récup sont en train de prendre une place super importante dans le monde de la mode. Les jeunes prennent petit à petit les commandes de cette industrie et ont conscience qu’elle est extrêmement polluante. Je pense que notre génération est beaucoup plus impliquée dans la mission de rendre notre monde plus respirable, et cela passe par une refonte totale du fonctionnement de ce genre d’industrie." Adepte de custom en tout genre, Martin plante le décor d'une nouvelle génération bien au fait de l'upcycling et plus à même de s'engager pour faire respirer la planète. Et même si l'intérêt du custom pour la planète paraît évident pour certains, Kahbane en rappelle l'importance : "Ça peut éviter la surconsommation et donc l’abus de production."
Faire parler sa créativité plutôt que de continuer à consommer, voici une tendance qui laisse respirer la planète et que Staniflou souligne : "Beaucoup décident de faire du custom ou modifier leurs vieilles paires, plutôt que de les jeter, et d’en racheter. Ils préfèrent modifier quelque chose d’ancien, plutôt que de racheter quelque chose de neuf." Martin rejoint ce dernier en évoquant sa propre expérience : "cette tendance est très liée à l’upcycling. Dans mon expérience, j’ai commencé avec des paires déjà portées, que mes potes me donnaient. J’ai aussi pas mal travaillé avec des vieux tissus, des vieilles chemises, des pantalons chinés sur Vinted, etc…" Mais si les patchworks et les coutures apparentes tissent la toile d'un horizon plus vert, le futur du custom s'écrira-t-il au Posca sur des semelles de Air Force 1 comme Virgil Abloh le faisait si bien ?
Un futur en construction
Redessinant les contours de la culture sneakers à coups de cutter et de pinceaux, le custom va-t-il disparaître avec le temps ? Le Toulousain Staniflou n'est pas très optimiste concernant son art et met en avant la démocratisation du mouvement ainsi que l'effet de masse : "Petit à petit le mouvement va s’essouffler. Beaucoup d’artistes sont arrivés, sans vraiment savoir ce qu’ils faisaient. Les gens perdent un peu la confiance en ce genre de procédés, par peur de voir le travail artistique se dégrader dans le temps… La hype joue aussi un rôle dans l’essoufflement de cette tendance, beaucoup de gens aujourd’hui préfèrent porter une paire de Travis Scott éditée à 100 000 exemplaires, plutôt qu’une paire totalement unique, mais que personne ne reconnaîtra dans la rue."
Moins catégorique que Stan, Kahbane prédit un renouvellement des cycles comme ceux auxquels la mode nous a souvent habitué : "Je vois ce mouvement en perpétuelle évolution. (...) Tout est cyclique dans la mode et dans les tendances..." Avec la fraîcheur de la jeune génération et son enthousiasme créatif, Martin dépeint quant à lui un horizon beaucoup plus clair pour le custom : "Ce mouvement ne disparaîtra pas, au contraire, j’ai l’impression que notre génération a un besoin constant de créer, et de faire les choses à sa manière. Je vois tout le temps de nouvelles choses se faire, les gens essayent, ils ratent, ils recommencent, mais il y a un sentiment de liberté créative indéniable. Il y a un engouement planétaire pour le DIY et on voit une quantité astronomique de vidéos sur de nouveau réseaux comme TikTok."
Le custom qui se réinvente au fil des défilés de la Fashion Week et des trends TikTok ne s'arrêtera donc pas de si tôt même si le cycle des tendances le forcera à ajuster son coup de ciseaux. Espérons qu'un avenir coloré s'offre au custom et que les créateurs continueront de faire ce qu'ils font de mieux, créer. Et comme le dit si bien Staniflou : "On est beaucoup à vivre pour ça, à en avoir fait notre métier, et on espère que ça continuera encore et encore."
Photo de couverture :