Discutons avec Mad Bad Ting
06 Dec. 2023
Discutons avec Mad Bad Ting
"Hi, how are you?", "Ça va thank you", "I'm Mad, enchanté"... assez naturellement, le franglais s'est installé dès l'arrivée de Mad Bad Ting dans notre studio. Et au bout de quelques minutes, on comprend assez rapidement que ce jeu d'équilibriste ne se limite pas juste à la polyvalence idiomatique de la jeune américaine. Entre le DJing, son label Très Rasché et sa vie, Mad passe son temps à jongler. Et elle le fait très bien. Après avoir sorti sa dernière collaboration avec Reebok, celle qui a débuter en habillant Billie Eilish ou AlunaGeorge franchit une nouvelle étape dans sa carrière et nous donne une leçon d'équilibriste à travers cette discussion.
Comment te présenterais-tu ?
Je suis DJ, designer, directrice artistique et la fondatrice du label Très Rasché. On peut dire que je suis une "renaissance woman" !
Comment as-tu commencé ?
En résumé, mon parcours a débuté avec une volonté de prendre des risques, de saisir chaque opportunité, et une touche de karma. Quand j’avais 20 ans, pendant mes études d'art et de design à Los Angeles, deux opportunités incroyables se sont présentées à moi et ont boosté ma carrière, suivies par une troisième qui m'a conduit à Paris. La première opportunité m'a permis de designer pour DIMEPIECE LA, une grosse marque de streetwear féminin connue pour ses t-shirts graphiques emblématiques 'Ain't No Wifey', portés en backstage à la Fashion Week de Paris par des top modèles comme Cara Delevigne et Joan Smalls. C'est là que j'ai compris que je voulais lancer ma propre marque.
La deuxième opportunité est arrivée lorsque j'ai été invitée à travailler en tant que costumière et styliste pour la musicienne britannique AlunaGeorge. Cette expérience m'a non seulement amenée à créer ses tenues de scène, mais aussi à devenir sa DJ pendant la tournée. Ces expériences ont préparé le terrain pour la fondation de Très Rasché & DJ Mad Bad Ting.
Le troisième tournant est arrivé lorsque j'ai croisé la route de Francesca Amfitheatrof, la directrice artistique supervisant les bijoux fins, la haute joaillerie et les montres de Louis Vuitton. Elle m'a gracieusement offert un poste dans son équipe de design chez LV, ouvrant la voie vers Paris. Et c'est essentiellement ce qui nous amène à l'instant présent.
Comment as-tu lancé ta marque ?
J'ai beaucoup dessiné et réfléchi au genre de marque que je voulais créer. Pendant les tournées, on faisait beaucoup de festivals avec Odd Future, ASAP Mob, YSL, OVO... avec beaucoup de groupes de rap, souvent composés d’hommes. Chacun avait sa place dans le groupe. Vous aviez le leader, Drake, puis vous aviez le producteur, son DJ, le graphiste... ils avaient réussi à créer cette incroyable communauté.
Pour moi, c'était ça le streetwear. J'ai travaillé avec Aluna, Megan Thee Stallion, Billie Eilish, tout le monde. Et chaque fois que je travaillais avec des femmes, je voyais qu’elles étaient seules. Et personne d'autre ne travaillait avec elles. Il n'y avait pas d'échange d'idées, il n'y avait pas de construction commune. Ça n'existe tout simplement pas. Ça m’a rendu triste et je me suis dit, pourquoi ça n’existe pas ? J'ai fait des études de genre à la fac. J’y ai compris l'impact culturel de ce que les femmes ont entendu pendant si longtemps et de la nature compétitive que nous avons été programmées à avoir.
J'ai voulu créer une marque de streetwear à Los Angeles qui se concentre sur les femmes. J’ai commencé par faire des soirées à Los Angeles, imprimer des t-shirts. Mes premiers produits étaient nuls. Mais je voulais avant-tout créer une communauté et une culture. Et nous l'avons vraiment fait. Nous avons organisé pas mal de fêtes, avec uniquement des femmes DJ et des DJ LGBTQ. Et c'était vraiment novateur en 2016 et en 2017. Même si c’est en train d’arriver à Paris, ce n'était pas encore très courant ici à l’époque.
Comment as-tu réussi à faire porter tes vêtements par autant de célébrités ?
Lorsque j'ai lancé TR, j'étais jeune et un peu obstinée. C’était important pour moi que les célébrités qui portaient ma marque l’apprécient sincèrement. De plus, j'ai financé TR entièrement avec mes propres fonds. Étonnamment, TR n'a jamais eu recours à une agence RP ou à un manager. Pour obtenir une couverture média authentique, j'avais besoin d'une compréhension personnelle des individus, comprenant leur sentiment envers la marque, pour m’assurer que nos visions résonnaient ensemble. J’étais convaincu que les relations authentiques étaient la clé. Mais c’est vrai que ma carrière en tant que styliste, DJ et designer a grandement facilité ces connexions. À travers des projets fascinants, principalement dans le domaine musical, je me suis retrouvé en présence de talents exceptionnels. Une grande partie de mon travail tourne autour des musiciens ; la musique se positionne comme l'une des principales inspirations de TR (en plus du genre, bien sûr). De plus, en tant que DJ moi-même, je pense que cela a contribué naturellement à ces connexions.
Quel a été ton moment préféré avec une de tes "muses" ?
À mesure que la marque évoluait, j’avais des projets assez cools. Je stylais Billie Eilish. Donc Billie portait tous mes vêtements. Elle venait chez moi. Nous faisions des séances photo dans mon salon quand elle avait environ 16 ans. Parce que je stylais certains de ses clips, nous sommes devenues amies. Donc elle a toujours porté beaucoup de produits de la marque. Je ne sais pas si c'est par respect pour moi en tant qu'amie ou si c’est parce qu’elle aime vraiment le produit mais elle a toujours porté beaucoup de produits de la marque. Quand j'ai rencontré Billie, je ne sais pas, elle m'a vraiment inspirée. Je me souviens que l'une des premières conversations que Billie et moi avons eu portait sur la difficulté de trouver des femmes avec qui collaborer. Et elle avait 16 ans. C'était fou d’avoir cette conversation avec une adolescente de 16 ans. Elle jouait vraiment avec la dualité et les extrêmes. Elle mélange masculinité et féminité, c’est une fille dure qui chante comme un ange. Elle a donc été l'une de mes premières muses et évidemment cela a propulsé Très Rasché sur le devant de la scène. Ce n'était pas censé devenir aussi gros aussi vite.
Que signifie Très Rasché ?
En vrai, ça ne veut rien dire. Ce n'est pas un mot. C'est un terme que j’ai inventé. On s’amusait en disant, « Oh, je suis tellement Rasché. » Et puis je ne sais pas. J'ai juste aimé le terme « Très ». C'était une blague mais ça sonnait bien en français. Mais le plus drôle, c'est le logo TR. C'est une histoire marrante. C'est moi qui l'ai imaginé. Après avoir mixé au YoYo, je me promenais dans Paris. Un jour je suis passée devant un bâtiment du gouvernement avec le logo RF. C'est là que j'ai eu l'idée du logo TR. Je pense que j’étais née pour être parisienne.
Comment s’est goupillée la collaboration avec Reebok ?
Alors, ils m'ont simplement envoyé un e-mail de manière aléatoire en 2018. D’abord je me suis dit que c'était une arnaque. Je n'ai pas répondu parce que je reçois toujours ces e-mails, du genre "ASOS veut collaborer avec toi". Donc tu te dis juste... poubelle.
Un mois après j'ai reçu un autre e-mail et j’ai fait la même chose. Je me suis dit que c’était une bonne arnaque (rires). Et puis j'ai reçu un DM d’une responsable des collaborations chez Reebok à l'époque. Elle s’appelle Thomasin, maintenant elle est chez Nike. C’est une personne incroyable et je lui dois beaucoup pour avoir parié sur moi. Elle m’a dit : « Salut, je t'ai envoyé quelques e-mails. Je ne sais pas si tu les as reçus, mais nous sommes vraiment intéressés pour collaborer avec toi. » C’est là que j’ai compris qu’en fait c'était réel.
Quelle a été ta première paire avec eux ?
Ma première paire c’était une Club C 85 Classic. Nous l'avons lancée pendant la Fashion Week de Paris en janvier 2020 chez Second Chapter, chez Citadium. C'était vraiment cool. Je venais de déménager à Paris pour Louis Vuitton six mois plus tôt, donc c'était incroyable pour moi que nous puissions faire un pop-up chez un multi-marques comme Citadium. Nous avons même organisé un petit event, Gully Guy Leo et moi étions aux platines. On a tout habillé avec notre monogramme TR et on a affiché de grandes images sur les murs avec notre campagne en mettant en tête d’affiche la mannequin française Khleopatre et le mannequin britannique Kai Isaiah Jamal. Tous ceux qui ont été impliqués sont des amis, ça ressemblait vraiment à une affaire de famille.
Tu peux nous en dire plus sur cette collab ?
La paire s’appelle la Zig Kinetica GTX Edge. C'est une Reebok très avant-gardiste, et pour être honnête, ils n'ont pas sorti beaucoup de modèles. Je pense que A$AP Nast et moi sommes les seuls à avoir collaboré sur la Zig Kinetica GTX Edge. J'ai appelé cette paire "Venus", car le design est inspiré par ma grossesse et mon admiration pour l'énergie féminine. Je voulais essayer quelque chose de féminin, car d'habitude mon travail est inspiré par la masculinité. Je voulais aussi incorporer une touche de punk, car depuis le début de TR, j'ai toujours intégré des éléments punk parce que j'aime la rébellion.
Je crois que la plupart des choses décidées avant nous devraient être remises en question. J'ai donc essayé de réunir ces univers à travers le design. Ce style présente également un élément Très Responsible (durable), quelque chose que je veux vraiment étendre à l'ensemble de ma marque. La semelle est fabriquée par Vibram. Donc c'est vraiment cool, car elle est non seulement durable et fabriquée avec des matériaux recyclés. Cette paire est vraiment ma préférée jusqu’à présent et d'ailleurs elle est complètement sold out sur . Mais nous venons juste de drop quelques paires au Printemps Haussmann Le Market si quelqu'un est toujours à la recherche d'une paire.
Comment t'es-tu intégrée dans la communauté parisienne ?
Je n'ai pas pu faire beaucoup de soirées à Paris quand j'ai déménagé ici en 2019. Même si les soirées ont toujours été importantes pour Très Rasché, le COVID est arrivé et à Paris, c'est beaucoup plus difficile de lancer tes propres projets, encore plus quand tu n’es pas Française. Ça m'a pris un peu de temps pour connaître des gens et comprendre comment créer ma propre communauté ici.
Quels sont tes prochains projets ?
Je suis vraiment focus sur le fait de former une équipe, d’apprendre à m’entourer. Tout est arrivé si vite, d’un coup j'ai eu une marque, une entreprise, et il y a tellement de choses pour lesquelles tu n'es pas préparée en tant que créative. De base, je suis une créative, pas une CEO.
Quels conseils donnerais-tu à une jeune créa, à toi en 2015 ?
À moi-même en 2015 ? C'est une bonne question. Je me dirais de ralentir un peu. De me soucier davantage de la structure interne. Si tu es un créatif, mon meilleur conseil serait simplement de te dire de te lancer et de te donner beaucoup de temps pour échouer. N’impose pas de deadline à ton succès. Faire comprendre son point de vue, sa vision, ça prend du temps. Et c’est probablement la chose la plus importante.
Crédit : Mad Bad Ting