14 Dec. 2021
Mode x Football : Le une‑deux sans fin
Et même si l'Euro débute avec un an de retard, la mode n'a pas attendu le coup d'envoi de la compétition pour continuer de jongler avec les codes du ballon rond.
En multipliant les collabs et les réinterprétations, l'industrie de la mode a confirmé son attachement au sport le plus populaire du monde. Depuis plusieurs années déjà, le foot enchaine les passes décisives pour la fashion qui assume parfaitement ses choix en attendant une éventuelle transition vers un nouveau cycle. L'Euro 2020 est donc l'occasion parfaite pour stopper le chrono et analyser la relation de ce duo si complémentaire, et pour se pencher sur les joueurs qui vont marquer la compétition de leur empreinte, autant sur le terrain qu'en dehors.
Et puisque les tribunes libèrent peu à peu leurs sièges, nous avons ouvert la nôtre à un trio d'attaque des plus complémentaires pour débattre sur le sujet. Accompagnés de Landry, CEO de , agence spécialisée dans l’analyse et le développement de l’image de joueurs de football professionnels, Nithsaya, directeur artistique du studio créatif et Hippolyte, co‑fondateur de marque française spécialisée dans l'achat et la revente de produits de sport vintage, nous allons tenter de déchiffrer une tendance encore loin du coup de sifflet final.
Mode x football : l'éternelle "passe D"
Pour illustrer ce lien si étroit que la mode et le football entretiennent depuis plusieurs années, les exemples ne manquent pas. Que ce soit des marques de luxe comme Balenciaga, Off‑White et Louis Vuitton ou des griffes comme Palace, KITH et BAPE, elles se sont toutes aventurées sur le rectangle vert pour s'inspirer du football. Et au pourquoi, Landry répond très naturellement : "T__out simplement parce que je pense que ça fait vendre. Il y a plein de codes de la société qui montrent aujourd'hui que ça fait vendre. Il n'y a qu'à voir le style banlieusard à l'heure actuelle. Tous les mecs sont en mode survet' de foot etc... ce qui n'était pas forcément le cas à une certaine époque. Mais surtout le maillot de foot est devenu une pièce de mode à part entière. Il y a beaucoup de maillots vintage, même les maillots actuels, les gens portent ça en mode étendard, ils calent ça dans des looks fashion."
Nithsaya abonde dans ce sens en ajoutant même : "on vient de franchir un cap dans la considération du maillot de football comme vêtement."
De son côté, Hippolyte retient le "retour en vogue de nombreuses marques casual prisées par le mouvement hooligans des années 1990. Les supporters ont toujours été très attentifs à leur image dans les stades afin de montrer leur appartenance à un mouvement, avec de nombreuses marques italiennes et anglaises comme Stone Island, CP Company, Fred Perry, Sergio Tacchini..."
Et si les passes D se multiplient entre football et fashion, le plan de jeu des marques n'est certainement plus le même.
Un plan de jeu assumé
"Maintenant les marques ne se cachent plus. C'est un vrai parti pris. Balenciaga qui a sorti une paire de crampons, KOCHÉ qui avait fait quelques pièces avec des maillots du PSG... il y a un réel parti pris, pas juste des codes mais clairement une affirmation de leur part. Ce qui a changé depuis les premiers jours, c'est que c'est quelque chose qu'ils revendiquent à part entière et qu'ils montrent aux yeux de tout le monde" nous confie Landry, fondateur de Loge Agency. Comme une histoire d'amour débutée en secret avant d'être révélée au grand jour, la mode clame désormais haut et fort son crush pour le football. Le co‑fondateur de Line Up évoque quant à lui une dimension plus culturelle : "la mode s’inspire depuis quelques années énormément de la pop culture, que ce soit pour des collaborations sur des produits football comme Palace x Juventus ou encore sur des sneakers comme Dior x Jordan."
Mais qu'elle emprunte directement le chemin du stade ou qu'elle passe par la culture populaire pour tâter le cuir, la mode peaufine ses statistiques avec des collaborations à répétition : Thom Browne x FC Barcelone, Marcelo Burlon x Napoli, Patta x Inter Milan et bien d'autres encore... Mais fonctionnant par cycle, la mode pourrait‑elle passer à autre chose et en oublier le "beautiful game" ?
Tout est une histoire de cycle
Les années 90, les années 2000, le sportswear rétro, le skate... ce n'est un secret pour personne, la mode est une histoire de cycle. Aussitôt essoufflée, chaque tendance s'assoit sur le banc et attend son tour pour revenir sur le terrain. Et Hippolyte s'appuie sur les exemples du passé pour anticiper un changement imminent : "Oui, je pense que cette idylle perdra en force, car c’est un cycle et nous savons que la mode fonctionne comme cela depuis toujours. Il y a quelques années nous retrouvions beaucoup de produits inspirés du baseball ou encore de la moto‑cross."
Landry reste plus nuancé de son côté et appuie son propos avec des tendances indéboulonnables pour expliquer que le foot pourrait rester plus longtemps que prévu : "peut‑être que ça va s'atténuer dans les années à venir donc l'évolution reste à voir mais on a plein d'exemples comme les inspirations type universitaire des US, ce sont des choses qu'on connait depuis longtemps, les typos, les logos, les teddy varsity et tout le délire autour des basiques Russell, Champion... Ça fait un moment que tout le monde connait et que c'est là mais au final ça bouge pas, ça revient toujours par cycle et il y a des codes qui ne bougent pas du tout. Je trouve que ce sont des éléments qui poussent à croire que non, ça ne s'achèvera pas je pense."
Et si le jersey de football devenait notre basique à nous ? Sur les épaules de toute la France, des quartiers populaires aux plus uppés, le maillot de foot transcende les classes sociales et fait preuve d'une complémentarité sans faille avec la mode.
Un duo d'attaque complémentaire
Mode et football font la paire, c'est indéniable. Mais si la mode s'inspire du beau jeu, le foot n'est pas en reste non plus et notre trio du jour acquiesce sans hésiter en commençant par Landry : "au niveau des matières, on arrive à des choses bien travaillées et ça fait une passerelle avec la mode. Par exemple, je viens d'essayer le dernier maillot de la Juventus et c'est autant une prouesse technique que visuelle et esthétique. Le foot a un oeil attentif sur la mode. Quand on voit la dernière tenue du PSG, le short est un short de basket et ça commence à faire un bon bout de temps que le short de basket est impliqué dans des collections chez Fear of God, chez Rhude, il y a Supreme qui vient d'en sortir un... ce n'est pas un hasard, le foot a un œil attentif à la mode. Par les couleurs ou les prints des maillots third aussi, on retrouve pour moi beaucoup de codes qui sont associés à la mode d'une certaine manière."
Le une‑deux existe donc bel et bien et le co‑fondateur du shop Line Up explique que : "c’est un phénomène récent, car à l’époque les marques ou les créateurs ne s'intéressaient pas vraiment au ballon rond, et il y avait une image négative des supporters avec de la violence et du racisme, ce qui n’était pas forcément bon pour leur image de marque." Et il ajoute même que les joueurs autrefois boudés par les marques de mode font aujourd'hui office d'ambassadeurs : "quand tu as un joueur qui tourne avec des millions de followers, les marques sautent sur l’occasion pour s’y associer et ainsi présenter les produits de façon la plus naturelle possible."
Et les joueurs, souvent passionnés de mode mais aussi pointés du doigt pour leur goût exacerbé pour le big branding, se retrouvent sous les feux des projecteurs aussi en dehors du terrain.
Les joueurs à suivre (et pas que sur le terrain)
Suivis par les fans pour leurs prouesses sur le terrain mais aussi pour leur lifestyle loin du rectangle vert, les joueurs font aujourd'hui figure de leaders d'opinion qu'ils le veuillent ou non. Et parmi ceux qui assument pleinement ce rôle, le fondateur de Golden Cabane Nithsaya affirme que sa préférence va à David Alaba et Marcus Rashford alors qu'Hippolyte de Line Up oriente plutôt son choix vers Moise Kean l’international italien, qui mélange un style très US avec de l'oversize, de l’imprimé et des couleurs. De son côté, Landry, émet tout d'abord un jugement assez contrasté sur les joueurs : "Je vais avoir un avis assez dur, et je ne vais pas parler des joueurs les plus stylés mais des plus pertinents parce qu'on le sait tous, le foot a besoin d'évoluer et de changer d'un point de vue de mentalité vis‑à‑vis du vêtement. C'est à dire qu'il faudrait arrêter d'avoir une pensée collective commune. Ce phénomène de vestiaire où tout le monde met les mêmes choses, les mêmes marques. Pour revenir aux joueurs que je trouve pertinents, il y a Jules Koundé en équipe de France que j'aime bien, Leroy Sané et Serge Gnabry en Allemagne. Et après il y a Dominic Calvert‑Lewin que j'aime bien mais après il n'y a pas grand monde, donc c'est la liste de joueurs que je trouve pertinent à l'heure actuelle concernant l'Euro."
Le foot change mais le foot ne doit pas s'arrêter en si bon chemin si on se fie au témoignage du fondateur de Loge Agency. En tout cas, il reste et restera le sport numéro un et si la mode emprunte un chemin différent avec le temps, on l'imagine difficilement tourner le dos au terrain et oublier définitivement le ballon rond. En attendant de savoir si le une‑deux va continuer encore longtemps, il est désormais temps de s'installer confortablement en terrasse pour savourer un Euro 2020 qui trouvera son dénouement le 11 juillet, car un an d'attente, c'était long. Trop long. (Et allez les Bleus quand même).
Photo de couverture : Ojoz