Que serait A.P.C. sans les collaborations ?
08 Sep. 2022
Que serait A.P.C. sans les collaborations ?
s'est installé à l'âge de 9 ans dans le Paris des années 60 entre modernité et révolutions. Engagé dans la politique et diplômé d’histoire géographie, c’est finalement grâce à ses contacts qu’il rentrera dans l’univers de la mode. Mais pas celle des années 80, de ou qui se veut colorée et extravagante, mais plutôt celle qui restructure le corps. En toute simplicité, l’ voit alors le jour à la fin des années 80 dans l’unique but de proposer un vestiaire intemporel pour homme et femme. Aujourd’hui, la marque vit également à travers des collaborations iconiques, qui sont pour beaucoup ce qui fait perdurer A.P.C. : Kanye West, , JJJJound, Sacai, ou encore et maintenant BAPE. De toutes évidences, A.P.C. semble plus que jamais correctement porter son nom.
De Tunis à Paris : focus sur Jean Touitou
Jean Alfred Touitou a grandi à Tunis en Tunisie dans les années 50. Il s’est ensuite installé à Paris avec sa famille lorsqu’il avait 9 ans. De la villa blanche aux influences suédoises issues des voyages de son père ; qui travaillait dans le cuir et voyageait beaucoup, au 13e arrondissement de la Tour Albert dans le 13e arrondissement, Jean Touitou entamera sa deuxième enfance. Au sommet du 15e étage, il fut plongé au summum de la modernité, le premier gratte-ciel parisien. Ses parents ; et leurs goûts pour les belles choses, avaient par ailleurs décoré l’appartement de mobiliers aux antipodes de ce qui se faisait à l’époque, mais qui s’affirme aujourd’hui comme la décoration à avoir chez soi.
"Ce qui m’a marqué, ce sont les après-midi totalement silencieuses avec les marchands ambulants qui passaient et qui avaient comme un petit cri pour se faire reconnaître (…) il y avait un monsieur qui ramassait les vieux vêtements, je ne sais pas pourquoi il le disait en italien, ça faisait "roba vecchia" ou simplement "vecchia"."
Jean Touitou - à propos de son enfance à Tunis - Le Goût de M
Jean Touitou se sent à l’écart de la culture maghrébine même s’il a grandi là-bas. Les souvenirs qu’il en retient dans une période de décolonisation sont avant tout : "les murs blancs, la mer un peu bleue et verte et une certaine vie plutôt organisée vers la jouissance plutôt que vers la torture".
Inscrit à l’école alsacienne car dyslexique, c’est ici qu’il découvrira la littérature et qu’il se créera un réseau. À 13 ans, avec son ami André Lindon, ils découvrent l’écrivain Samuel Beckett. De l’écriture au style avec son sac à l’épaule et son élégance, il inspirera Jean Touitou.
Le futur créateur d’A.P.C. est un mélomane dans l’âme, entre autres grâce aux disques de son père importés des États-Unis. Des CD de Miles Davis, à l’émission radio Salut les copains et aux simples stambali de Tunis, Jean Touitou a toujours baigné dans cette culture musicale.
Adolescent, Jean Touitou n’accorde que très peu d’importance aux vêtements, même s'il est vu par les amis de sa sœur comme une personne bien habillée. Il préfère s’engager dans la politique trotskiste, mais il finit par se retirer de cette vie par lassitude de la révolution, même s'il en garde la force de détermination d’un groupe.
Diplômé d’histoire et géographie et après un voyage en Amérique, il se retrouve finalement dans les cordes de en 1977, l’un des pionniers de la mode japonaise. Il appliquera ses connaissances techniques et industrielles acquises au sein de la maison japonaise chez qu’il intégrera grâce à un ami de l’école alsacienne ; qui fut nul autre que Jean-René Claret de Fleurieu, l’ex-mari de la créatrice.
"Elle m’a appris les vertus du bricolage"
Jean Touitou - à propos d’Agnès B. - Le Goût de M
A.P.C. sans les collaborations
(Pas) fan des années 80
Jean Touitou a récemment écrit une lettre ouverte à l’aurore de la crise pandémique intitulée "Pour une utopie raisonnable dans le contexte d'un bordel monstre partout", il rappelle l’idée de la création de sa marque tout en justifiant son choix d’avoir annulé son défilé au début du covid ; la marque alors inscrite depuis 2018 au calendrier des défilés de la . Révolte et dégoût, voilà ce que lui inspirait véritablement les années 80. À cheval sur l’esthétique, et parce qu’il trouvait tout de "moche", A.P.C. est né.
"Il fallait bien que je sorte de cette absence de perspective, et comme je n’ai jamais été tenté par l’autodestruction et la drogue, j’ai cherché un moyen de transformer mon énergie destructive en quelque chose de bien, et ce en évitant toutes sortes de compromis avec le fonctionnement mondain et les coteries des sphères de la mode."
Jean Touitou - Lettre ouverte - Pour une utopie raisonnable dans le contexte d'un bordel monstre partout , mai 2020
Il prête énormément d’importance à la production qui donne vie à la création, d’où le nom donné à la marque : Atelier de production et de création en 1987 avec sa première collection "hiver 87". Jean Touitou a le goût du beau, il aime le non-ostentatoire et la restructuration. Le style A.P.C. s’éloigne du style extravagant des folles années de fêtes des années 80, se rapprochant plus du rock des années 60 et 70.
Connue essentiellement pour son jean brut en toile japonaise, la marque ne tarde pas à s’exporter au pays du soleil levant 4 ans après le lancement de la marque. A.P.C. s’introduit donc dans le quartier de Daikanyama à Tokyo et étend sa distribution aujourd’hui à l’international.
Un style intemporel et une conscience écologique
En plus de s’inscrire dans une simplicité déconcertante, mais toutefois pleinement assumée par le créateur, A.P.C. propose des basiques qui finissent par être des must-haves pour les femmes et les hommes avoisinant la quarantaine et vivant dans les quartiers huppés de la capitale. En effet, pour Jean Touitou, le travail du vêtement se voit dans la doublure plus qu’à l'extérieur.
S’inscrivant dans une démarche de durabilité, les boutiques A.P.C. Surplus voient le jour à la fin des années 2000. Proposant ainsi une large sélection d’intemporels (évidemment) mais cette fois-ci à prix réduits puisqu’il s’agit d’anciennes collections. On comprend vite que son enfance en Tunisie a énormément marqué Jean Touitou et a influencé la manière dont il conduit sa marque aujourd’hui. En effet, dès 2011 A.P.C. s’intègre également dans une démarche éco-responsable, notamment en travaillant avec Jessica Ogden qui réutilise des chutes de tissus de la marque pour en faire des kilts. Par la suite, l’Atelier de production et de création a lancé son programme intitulé "Butler" proposant aux clients un service d’échange et de revente de jeans ayant eu une première vie, étant usés et donc par conséquent détenant une patine naturelle. Si le jean en denim indigo de la marque est éligible, alors le client se voit dans la possibilité d’obtenir un jean neuf à moitié prix. A.P.C. est engagé dans la seconde main et a même ouvert une boutique A.P.C. Vintage situé au 33 rue de Nazareth dans le 3e arrondissement de Paris. La marque propose également un service de recyclage en rachetant des anciens articles suivant une grille tarifaire et la qualité du produit, A.P.C. fait des dons à des associations caritatives. Niveau emballages, là aussi la marque ne fait pas les choses à moitié puisqu’A.P.C. livre ses articles dans du papier de soie recyclable ou bien des pochons de protection. Plus globalement, la griffe a intégré dans ses collections des tote-bags confectionnés à partir de chutes de tissu, produits images (oui) mais qui ont aussi pour but de sensibiliser sa clientèle.
A.P.C. avec les collaborations
A.P.C. débute ses collaborations avec Nike dès 2008 en revisitant la Nike All-Court dans trois coloris différents. La Nike Blazer, la Nike Dunk, la Air Max 1 ou la Nike Free OG 2014 seront modernisés à la manière de l’Atelier de production et de création.
Cela peut paraître surprenant, mais l'un des premiers artistes qui a collaboré avec la marque A.P.C. est nul autre que . L’artiste avait lui-même contacté Jean Touitou lorsqu’il enregistrait son album Yeesus à Paris. Il aura fallu deux ans pour les deux nouveaux amis pour élaborer cette collection capsule composée uniquement de 8 pièces : 2 jeans, 2 sweats et 4 t-shirts. Le prix des articles avait par ailleurs fait débat sur les réseaux sociaux avec le prix d’entrée s’élevant à 80€ pour un des t-shirts.
En 2019, Jean Touitou lance Interactions, laissant de nombreux artistes ou encore designers s’exprimer au fil de collections capsules. Pour la première édition, c’est donc le rappeur dont la carrière a été lancée par Ye qui s’est approprié les codes de la marque.
Après le label canadien et la marque de Chitose Abe, plus récemment, A.P.C. a interagi en 2022 avec et .
Toujours dans un esprit de partage et d’échange, la Directrice Artistique de Lacoste a apporté l’esprit militaire dans les coupes et les couleurs ainsi que le style des années 90 pour définir l’Interaction #14. La sortie de cette nouvelle collection capsule a été stratégique puisqu’elle est sortie pendant à Paris, donnant ainsi de manière subtile de la visibilité à A.P.C. grâce au crocodile.
Après SA.P.C.AI., Voilà que la marque revient en ce début de semaine et nous présente A Bathing APE.C. Jean Touitou ne s’est pas arrêté sur les codes essentiels que véhicule BAPE depuis plusieurs années, à savoir son célèbre imprimé camo. En effet, l’Atelier de production et de création a décliné la collection à l’enfant en profitant de l’image de Baby Milo, ce fameux singe adulé par beaucoup de jeunes adolescents il y a quelques temps.
"Dans les années 90, A.P.C. a connu un fort succès au Japon, et je me rendais souvent à Tokyo, au moins deux fois par an. Dès que je l’ai découverte grâce à mon ami Hiroshi Fujiwara, A Bathing Ape est une marque qui m’a fasciné parce qu’elle a réussi à enraciner une obsession cinématographique dans une culture streetwear dont l’influence est devenue et reste majeure. Cette interaction a été l’occasion pour moi de jouer avec quelques éléments cultes de nos marques respectives : le camouflage, le denim bien sûr, et surtout le "Baby Milo" dont la candeur me paraît spécialement appropriée pour nous remonter le moral après ce temps de pandémie. De la grande moulinette de cette interaction sont sortis des vêtements oversize, des délavages intéressants, des t-shirts et sweatshirts ludiques, bref, une fusion de nos deux univers".
Jean Touitou - à propos de sa dernière collaboration avec BAPE
Pour beaucoup, A.P.C. conserve son image BCBG, mais, grâce au large réseau de Jean Touitou et les collaborations diversifiées de son label, l’Atelier de production et de création a réussi à toucher une autre clientèle plus impliquée dans la culture. Qu’on soit une mère ou un père de famille déjà bien avancé dans la vie active, la griffe parisienne dévoile des collections complètes qui finissent par plaire à un large parterre de personnalités différentes. Les marques de sneakers survivent elles aussi grâce aux collaborations, découvrez justement notre article dédié, juste ici.
Crédits photos : A.P.C.